Septembre 2009 ISTE - Télécharger la publication
De façon récurrente, les plages bretonnes subissent des échouages d’algues vertes. De nombreux travaux d’observation et d’explication du phénomène ont été menés. Nous proposons dans cette courte note de résumer l’état des connaissances, et d’en tirer les principaux enseignements.
1 LA PROLIFERATION DES ULVES : UN PHENOMENE REPANDU DANS DE NOMBREUSES REGIONS DU MONDE
La prolifération d’algues vertes du genre Ulva appelées « laitues de mer » est un phénomène décrit dans de nombreuses régions du monde : Chine, Cuba, Espagne, fjords de Norvège, Pays-Bas, Danemark, lagunes de Venise et de Tunis, Sénégal, etc… En France, les échouages d’ulves ont également été observés dans le Nord Cotentin, dans la baie de Somme, en Charente-Maritime, en Loire atlantique, en Martinique ou dans les étangs et lagunes du Languedoc-Roussillon.
2 UN PHENOMENE ANCIEN
Depuis le début du XXème siècle des échouages d’ulves sur les côtes de la Manche sont rapportés. Dès les premières photographies aériennes de l’IGN, en 1952, les rideaux d’ulves sont visibles sur les baies les plus concernées aujourd’hui (baie de Lannion, de Saint-Brieuc [voir photographie ci-dessous] et de Douarnenez).

3 LES ULVES NE SONT PAS TOXIQUES
Les ulves sont comestibles par l’homme et par l’animal. Elles pourraient rentrer aisément dans la composition d’aliments du bétail. Dans la nature, elles sont consommées par de nombreux animaux tels que les bigorneaux, les ormeaux, les oursins… Entraînées vers le large, les ulves ne causent aucune perturbation écologique connue. Par contre, leur décomposition par putréfaction après leur échouage, peut générer de l’hydrogène sulfuré (H2S), gaz toxique à forte concentration, en milieu confiné, et fréquemment observé lors de la décomposition de matière organique ou dans les égouts (gaz des égoutiers). L’utilisation des ulves collectées, en tant que fertilisant épandu dans des parcelles agricoles, ne pose pas de difficulté particulière, dès lors que les doses sont ajustées aux besoins des cultures et que ces apports sont pris en compte dans les calculs de fertilisation.
4 AUCUNE CORRELATION ETABLIE ENTRE LE PHENOMENE ET LE DEVELOPPEMENT DES ACTIVITES AGRICOLES
La présence ancienne de ces échouages est un fait reconnu. Leur répartition dans le monde n’est pas systématiquement associée à des bassins versants relevant d’activités agricoles soutenues. En France, le cas de la baie de Lannion, principal lieu de prolifération et d’échouage des ulves, est révélateur. En effet, les activités agricoles des bassins versants de la baie de Lannion n’ont pas connu de développement important, ni avant 1968, ni jusqu’à nos jours. Les bassins versants concernés pratiquent la polyculture-élevage et peuvent être considérés comme relativement peu intensifs ; actuellement, on ne compte pratiquement pas d’élevage hors-sol, et de nombreuses surfaces sont occupées par des prairies de longue durée. Il n’apparaît donc aucun lien entre l’histoire du développement agricole et celle de la prolifération des ulves.
5 ABSENCE DE CORRELATION ENTRE LES REJETS D’AZOTE ET LE DEVELOPPEMENT D’ULVES
Très tôt, des tentatives de rapprochements entre les flux d’azote apportés par les rivières et fleuves bretons avec le développement des ulves ont été menées (cf. encadré, avec les cartes établies par l’Ifremer). En réalité, la prolifération d’ulves se manifeste dans les baies propices, quels que soient les flux d’azote déversés par les cours d’eau. Les baies recevant le plus d’azote, comme la baie de Vilaine, ne sont pas ou peu touchées. Le phénomène est observé dans des baies recevant des quantités d’azote modérées, comme dans la baie de Lannion. De plus, les quantités d’ulves ne sont nullement corrélées aux flux d’azote rejetés.

L’hypothèse de l’influence des apports d’azote au mois de juin a ensuite été évoquée. Après deux campagnes de mesures des flux d’azote reçus dans les baies propices (IFREMER-AELB, 1997,1998), aucune corrélation n’a pu être vérifiée ; bien au contraire, des quantités d’azote beaucoup plus faibles ou beaucoup plus fortes n’ont pas entrainé de variations dans les masses d’ulves observées. Tonnages d’azote au mois de juin et masses d’ulves observées (d’après Merceron IFREMER 1998, et 1999). Baie Lannion St-Brieuc total Bretagne Juin 1997 t de N 12 51 251 t d'ulves 9985 11388 42796 Juin 1998 t de N 19 119 351 t d'ulves 12070 8358 38114 Ainsi, l’examen des flux d’azote apportés par les cours d’eau, que ce soit au global, ou au mois de juin, démontre qu’il n’y a aucune corrélation avec la prolifération des ulves. Ce sont deux indicateurs indépendants.
6 CARACTERISTIQUES DES BAIES PROPICES CONCERNEES.
Il s’agit pour l’essentiel d’une partie de la côte nord de la Bretagne, principalement dans le département des côtes d’Armor. Ces ulves sont observées sur des baies présentant les deux caractéristiques suivantes : - la présence d’une plage de sable à faible pente, favorisant l’effet de lagunage, et - le piégeage de l’eau en fond de baie, sans forte dispersion des masses d’eau vers le large. Ce sont donc les conditions géomorphologiques et hydrodynamiques qui déterminent le développement et l’échouage des ulves.
7 QUELS SONT LES BESOINS D’AZOTE DES ULVES ?
Le tableau ci-dessous compare les ordres de grandeur d’éléments assimilés (N et P) par les ulves, aux quantités apportées par les cours d’eau dans les deux baies les plus touchées : t de N t de P besoins pour 4 000 t d'ulves 6 à 30 0,4 à 2 reçu en baie de Lannion/an 600 14 reçu en baie de St-Brieuc/an 1200 20 Bien que variables selon le contexte géographique, les quantités d’azote reçues par les seuls cours d’eau, sont donc beaucoup plus élevées que les besoins en azote des ulves ; ceci est également vrai, mais dans une moindre mesure, pour le phosphore. 5 Dans ces conditions, aucune limitation de la croissance des ulves par réduction des apports d’azote par les cours d’eau, n’est à attendre.
8 LES DIVERSES ORIGINES DE L’AZOTE DU MILIEU MARIN
L’azote du milieu marin ne provient pas uniquement des cours d’eau, mais également de nombreuses autres sources : - l’azote organique et ammoniacal des déchets et des résidus de la biologie marine (animale et végétale), et de la microbiologie, - l’azote issu des rejets des stations d’épuration, - l’azote issu de la fixation de l’azote atmosphérique par les cyanobactéries, - l’azote reçu par les précipitations (5 à 10 kg de N/ha/an),… L’azote apporté par les cours d’eau, ne représente donc qu’une partie de l’azote disponible dans le milieu marin. Ainsi, compte tenu de ces diverses origines d’azote, des masses en jeu et des besoins des ulves, aucune carence en azote dans le milieu marin, au point de réduire la croissance algale, ne pourra jamais être observée. Le cycle de l’azote dans le milieu marin côtier, la part relative de ses diverses origines ainsi que les mécanismes compensateurs (notamment en ce qui concerne la fixation de l’azote atmosphérique par le phytoplancton) et les interactions entre les différentes sources n’ont pas fait l’objet d’études, permettant de les quantifier, de les hiérarchiser, ni à plus forte raison de les modéliser. Il est surprenant que seul l’azote apporté par les cours d’eau fasse l’objet des recommandations actuelles.
9 D’AUTRES FACTEURS PEUVENT EXPLIQUER LE PHENOMENE
Parmi les facteurs explicatifs, nous pouvons citer : - la diminution des consommateurs d’ulves dans la chaîne alimentaire (notamment à la suite des marées noires de 1967 et 1978, qui ont surtout affecté les côtes Nord de la Bretagne) - les modifications survenues dans les baies, comme l’important développement de la mytiliculture dans la baie de Saint-Brieuc depuis 1964 ; l’abondance de ces moules de bouchot impacte nécessairement la courantologie, ainsi que les flux organiques en jeu dans cette baie. (cf. carte IGN, sept.1999) - l’accumulation de phosphore, due au défaut de traitement dans les stations d’épuration et à l’absence de réglementation sur la composition des lessives, pendant de nombreuses années. Ces facteurs, essentiels pour la compréhension de l’écologie de ces baies, n’ont pas été étudiés à ce jour. 6 Baie de Saint-Brieuc : rideau d’ulves et mytiliculture (IGN, septembre 1999).
10 INTERET ET LIMITES DES MODELES UTILISES
Nous ne disposons pas, actuellement, d’une connaissance suffisamment précise des mécanismes en jeu et de leurs interactions, pour tenter une modélisation représentant fidèlement le phénomène. La modélisation qui a été développée, prend pour hypothèse le rôle déterminant des apports d’azote des cours d’eau sur la croissance des ulves. Les mesures effectuées in situ ont montré que cette hypothèse n’était pas vérifiée. Dès lors, les simulations obtenues par ces modèles ne peuvent rien démontrer. Il s’agit, tout au plus, d’une forme élaborée de répétition d’une hypothèse, que l’on sait parfaitement caduque. 7 CONCLUSION : S’il est normal d’ajuster les fertilisations aux besoins des systèmes culturaux, il faut souligner que, compte tenu de ce qui précède, les actions sur les nitrates dans les bassins versants n’auront pas d’effet sur la prolifération des ulves. En effet : - le phénomène apparaît indépendamment des flux d’azote total apportés par les cours d’eau, qu’ils soient faibles ou forts, - les flux d’azote les plus importants sont essentiellement rejetés en période hivernale, période propice à une meilleure dispersion des eaux continentales, vers le large, - les flux du mois de juin, qui sont infimes et sur lesquels les actions menées dans les bassins versants ne pourront avoir que des répercussions à la marge, n’influencent nullement la biomasse d’ulves produite, - les concentrations en nitrates dans les cours d’eau bretons sont de l’ordre de 25 à 30 mg/l de NO3 et elles ont plutôt baissé ces dernières années, sans que l’on n’observe de réduction sensible du phénomène, - les quantités d’azote utiles à l’élaboration des ulves peuvent tout à fait provenir de nombreuses autres sources : azote des rejets des stations d’épuration, azote issu de la minéralisation de la matière organique d’origine marine, azote issu de l’utilisation par les cyanobactéries marines, fixatrices d’azote atmosphérique, … - le milieu marin ne pourra pas connaître de carence d’azote, au point de limiter la croissance des ulves, dont les besoins en azote sont relativement faibles. Nous ne connaissons pas actuellement de moyen d’action efficace, pour prévenir le phénomène. La recherche, doit porter sur d’autres facteurs explicatifs que l’azote. L’étude du devenir du phosphore, dont le cycle ne comprend pas d’échange avec l’atmosphère, doit être approfondie. Des travaux sur la récolte précoce et la valorisation des ulves ou leur dispersion vers le large, doivent également être poursuivis. Par contre, nous savons que la réduction des flux d’azote, issus des bassins versants, n’aura aucun impact sur le phénomène des proliférations d’ulves. Les programmes d’actions environnementales doivent intégrer ce constat, si l’on veut éviter que des décisions aussi inefficaces qu’injustifiées, ne soient adoptées. 8 BIBLIOGRAPHIE Inventaire des ulves en Bretagne Rapport de synthèse (17 pages + figures et annexes) - Michel Merceron – IFREMER - 1997 Inventaire des ulves en Bretagne Rapport de synthèse (26 pages + figures et annexes) - Michel Merceron – IFREMER - 1998 Marées vertes littorales et nitrates - International symposium NITRATE - AGRICULTURE - EAU. R Calvet éditeur. INRA pages 113 à 120- J.Y PIRIOU - IFREMER - 1990 POUR EN SAVOIR PLUS Guy BARROIN, 2000, Phosphore, azote et prolifération des végétaux aquatiques, Assises Internationales Envirobio,; Gestion des risques. Santé et environnement: le cas des nitrates, 13-14 novembre 2000, Paris ; lettre de l’environnement de l’INRA février 2003 Chrystel BRENAUT, Marie FIORI, Massiré KARE, Valérie VIAL, 2004, Évaluation et gestion des risques liés à la décomposition des algues vertes. Application dans les Côtes d'Armor ENSP. |