ISTES

Institut Scientifique et technique des Pêches Maritimes

Etude du phénomène de "Marée verte" affectant les baies de Lannion et de Saint-Brieuc

par Joël KOPP

 

Rapport de Synthèse - Juin 1977 - Téléchargement du rapport complet

 

Extrait :

I - INTRODUCTION

1°) Historique du phénomène et des différentes études s'y rapportant.

- Depuis 1968, les plages des Baies de Saint-Brieuc et de Lannion sont envahies chaque été par d'innombrables épaves d'algues vertes appartenant aux espèces Ulva lactuca et Ulva rigida.

Ce phénomène est connu sous le nom de marée verte.

Le flux tasse ces épaves en un cordon littoral de plusieurs mètres de largeur à l'intérieur duquel les algues fermentent en dégageant une odeur très désagréable.
Chaque cordon constitue, en outre, une barrière qui rend l'accès à la mer très pénible. Il se compose, en effet, d'une croûte blanchâtre d'apparence sèche et solide mais qui se déchire à la moindre pression laissant apparaitre un magma noirâtre et putride dans lequel le promeneur s'enfonce jusqu'à mi-jambe (Fig. 1 à 5).


Très tôt les autorités locales responsables se sont inquiétées de cet état de fait qui nuit considérablement à la vocation touristique de la région.

Elles ont tout d'abord entrepris de faire nettoyer systématiquement, par des moyens mécaniques, les principales zones affectées (Baie d'Hillion, Anse d'Yffiniac, Plage de Cesson, Baie de Saint-Michel...), mais le flux déposant à chaque marée de nouvelles épaves, il fut nécessaire de répéter périodiquement cette opération. En 1972, le montant total des dépenses de nettoyage s'éleva à 670 000 F.

Devant ce coût prohibitif, seuls quelques chenaux furent aménagés, à travers la laisse de haute mer, l'année suivante. Si l'accès à la mer était ainsi facilité, temporairement d'ailleurs, la grande majorité des épaves restaient en place et les problèmes, liés à la pestilence des dépôts entre autres, n'étaient pas résolus.

L'Institut scientifique et technique des Pêches maritimes, consulté dès 1972, organisa une mission ponctuelle de quinze jours durant l 'été 1973 mais la complexité des phénomènes en jeu, ain..si mise en lumière, ne permit pas de dégager des conclusions définitives.

Ces travaux, cependant, démontrèrent l'utilité d'une étude approfondie.

A la suite de cette courte mission, les autorités locales décidèrent de finiancer un programme complet, portant sur deux ans, dont la partie purement algologique devait être confiée à l'I.S.T.P.M. et les études courantologiques de surface au C.N.E.X.O. ; le contrat global signé entre les instances régionales (Direction départementale de l'Equipement) et l'I.S.T.P.M. s'élevait à 214 420 F.

Les travaux débutèrent au mois de juillet 1975.

2. Banalité du phénomène

Dès le début de cette étude il est apparu que deux phénomènes très différents étaient à prendre en considération et que l'échouage de ces millions d'algues n'était que la résultante particulièrement spectaculaire d'un concours de circonstances extrement rare entre:

  • l'existence de populations très importantes d'Ulves,
  • la forte pression de pêche sur les éventuels prédateurs de ces algues (Littorines),
  • l'exposition directe des peuplements: à la houle pendant la haute mer et au ressac durant les basses eaux,
  • la persistance d'une courantologie particulière de direction NO \ SE distribuant à l'intérieur des Baies de Lannion et de Saint-Brieuc les algues arrachées par l'agitation des flots et provenant de la partie OUest de ces baies.
A la suite d'une mission exploratrice systématique le long de la face Ouest du littoral français, nous avons pû constater que les champs d'Ulves des Côtes du Nord n'avaient rien d'exceptionnel.
L'état des différentes populations algales que nous avons étudié apparaît corrllne suit (tabl. 1).
...............

II TRAVAUX REALISES


(Suite dans le rapport à télécharger....)

 

III - CONCLUSION

Dans un but de clarification de nos;àonclusions, il est indispensable de bien faire la distinction entre ces deux aspects du phénomène, indépendants l'un de l'autre, et dont l'envahissement des plages n'est que la résultante.
Il est donc nécessaire de séparer les causes de l'envahissement de l'estran par les épaves d'Ulves des raisons du développement anarchique de celles-ci.


A- CAUSES DE L' ENVAHISSEMENT DE L'ESTRAN PAR LES EPAVES D'ALGUES VERTES.

a) Taux d'arrachage
L'étude des variations comparées des fréquences poids des populations d'Ulves des Côtes du Nord et de Noirmoutier nous a permis de mettre en évidence un taux d'arrachage des thalles fixés particulièrement élevé en baie de Lannion et de St Brieuc. Ce phénomène aggravant n'est cependant pas fondamental en regard de l'importance de la courantologie.


b) Courantologie
L'étude courantologique comparée que nous avons mené nous a conduit à démontrer que le déplacement circulaire des masses d'eaux benthiques, à l'intérieur des baies de Lannion et le Locquirec, était responsable de l'échouage des épaves d'algues vertes puisque 30% des algues arrachées au niveau des champs se déposaient sur les plages au fond des baies, alors que ce chiffre n'était que de 0,14 %pour l'ensemble des champs situés le long de la côte Est du Cotentin.

Il est apparu, de plus, qu'il existait, pour les champs d'Ulves des Côtes du Nord, une relation étroite entre la densité des champs et le taux d'échouage des Ulves; plus le champ est dense plus le pourcentage d'algues échouées, provenant de ce champ est important.


B - CAUSES DU DEVELOPPEMENT ANARCHIQUE DES ULVACEES


La prolifération anarchique des Ulvacées résulte de l'action conjuguée de nombreux facteurs d'origines très diverses tant physique que chimique ou que biologique.


a) Facteurs d'origine physigue
La modification profonde de la bathymétrie des baies de Lannion et de St Brieuc est sans doute responsable, en partie, du développement spectaculaire des Ulvacées. Cette modification est essentiellement due au déplacement vers l'ouest des bancs de sable. Ce bouleversement du profil bathymétrique de 18 baie provoque l'ensablement progressif des chaussées rocheuses de la partie ouest, et secondairement, la disparition des herbiers et des champs de Laminaires ainsi que l'apparition des Ulves qui, s'accommodant plus facilement d'un substrat relativement instable, ont pû se développer de façon anarchique en ne rencontrant plus de concurrence au niveau de la fixation des spores.

b) Facteurs d'origine chimique
S'il nous est apparu que les modifications de la bathymétrie des baies de Lannion et de st Brieuc était en partie responsable de la prolifération des Ulves, nous avons également pu mettre en évidence l'influence prépondérante que pouvait avoir le déséquilibre des conditions de milieu.

La position des champs d'Ulves (tous situés soit directement dans l'axe des points de rejet terrigènes riches en sels nutritifs nitrates et phosphates principalement, soit dans l'est de ces points c'est-à-dire en aval par rapport au courant dominant) ainsi que la variation de la densité de ceux-ci (diminution en relation directe avec l'éloignement des points de rejets terrigènes) nous a fait soupçonner l'origine continentale de cette nuisance.

C'est la raison pour laquelle nous avons jugé nécessaire d'effectuer toute une série d'analyses de la qualité des eaux en baie de Lannion. (Nous n'avons pas répété ces analyses en baie de St Brieuc, les résultats ayant été fournis par la suite lors de la mise en place du réseau d'observation de la qualité du Milieu Marin). Les résultats obtenus étant particulièrement "parlants" nous avons pu conclure qu'il existait, en baie de Lannion, une certaine eutrophysation des eaux due à une forte augmentation des teneurs en sels nutritifs ; cette eutrophysation étant sans nul doute provoquée par l'existence d'un courant circulaire établi à l'intérieur de ces baies. Ce courant permet aux sels nutritifs, particulièrement aux phosphates, de se concentrer et d'atteindre des taux très élevés, les eaux n'étant que faiblement renouvelées.

En laboratoire nous avons pu établir la relation existant entre ces pourcentages anormaux de sels nutritifs et l'accélération de la croissance des Ulves, mettant ainsi directement en relation l'origine primaire du phénomène et sa manifestation.

c) Facteurs d'origine biologigue

Les longues études de laboratoire que nous avons entreprises ont permis de démontrer qu'aucune mutation biologique n'avait affecté les Ulves des Côtes du Nord. Ces algues ont une croissance et un pouvoir reproducteur tout à fait comparable à celui des Ulves provenant d'une zone témoin.

Par contre, nous avons pu mettre en évidence le déséquilibre causé par la disparition des Littorines qui, par l'insuffisance de leur nombre, ne parviennent ni à contenir l'extension des champs d'Ulves ni à en limiter la densité. Les résultats d'un complément d'étude portant sur l'action précise de ces prédateurs doivent être fournis ultérieurement.


C - MOYENS DE LUTTE PRECONISES

Les causes de l'envahissement des plages étant à rechercher à deux niveaux, il en va naturellement de même quant aux moyens de lutte.

a) Lutte contre les causes primaires du phénomène

Les seuls facteurs sur lesquels il soit possible d'agir sont à rechercher au niveau de la qualité des rejets terrigènes et de la protection de l'écologie benthique de l'estran.

Tant en baie de Lannion qu'en baie de St Brieuc les rejets continentaux sont de trois types :

En premier lieu on trouve les égouts des villes côtières. Seul l'établissement de stations d'épuration très élaborées sera en mesure d'enrayer la dégradation de la qualité des rejets. Ces stations devront être en mesure de traiter des eaux usées dont le volume est susceptible de varier considérablement (la population estivale décuplant la population autochtone). De plus elles devront être capable de neutraliser les nitrates et les phosphates ce qui entraine la construction d'unités de traitement des eaux : particulièrement complexes, dont le coût devient immédiatement important.


On remarque qu'en second lieu, les quelques rivières qui se déversement dans ces baies ont un bassin situé en pleine zone agricole. Les sels nutritifs dont ces eaux sont très chargées proviennent en grande partie des engrais répandus sur le sol tout au long de l'année mais aussi de l'infiltration des lisiers d'origine animale. Le département des Côtes-du-Nord étant le premier de France quant l'élevage du porc, il apparait donc qu'à ce niveau encore, seule la construction de station d'épuration très
complexes, installées au niveau de l'estuaire, pourrait permettre de réduire l'importance du phénomène. Cette solution n'est naturellement pas envisageable.


Le troisième type de rejet terrigène, enfin, est constitué par le déversement de la nappe phréatique. Il est certain qu'à cet échelon aucune action n'est possible si ce n'est au niveau même de la source en sels minéraux, c'est à dire au niveau de chaque municipalité, de chaque exploitation agricole. La thérapeutique n'est alors plus en proportion du mal, et seul un respect strict de la réglementation actuelle peut permettre d'espérer contenir cette nuisance dans des limites tolérables.

On constate donc que ln lutte contre les causes primaires du phénomène de marée verte supposé des crédits très importants sans qu'il soit possible de garantir totalement l'efficacité des réalisations projetées qui ne pourront de toute façon réduire l'importance du phénomène que très partiellement.

a) Lutte contre les Ulves

S'il apparaît illusoire de lutter efficacement contre les causes primaires du phénomène de marée verte, il semble que, par contre, il soit possible d'agir au niveau des Ulves. La destruction c1es algues peut avoil~

lieu lorsque celles-ci sont encore en place sur les champs, ou plus tard lorsque les cordons littoraux d'épaves sont déjà formés.

- destruction des algues sur les champs

Il semble que ce soit à ce niveau que les moyens de lutte contre ce phénomène soient les plus efficaces. Bien que les travaux soient en cours il apparaît que les Littorines (1) consomment de grandes quantités d'Ulves et qu'ainsi ces mollusques pourraient être déversés sur les champs dès le printemps afin qu'ils broutent les jeunes Ulves sans leur laisser le temps d'assurer leur reproduction. Les conclusions définitives de cette étude précise seront fournies ultérieurement.

Quant aux possibilités de récolte des algues, on s'était posé la question de savoir s'il n'était pas préférable de les ramasser avant qu'elles ne se détachent du substrat. La très forte croissance des Ulves (qui doublent de poids en moins d'un mois) nous a fait subordonner notre réponse à la durée de vie pélagique de celles-ci. En cas de vie pélagique particulièrement longue il eût peut-être, en effet, été préférable de récolter les algues sur les champs mêmes (le tonnage à enlever étant
alors beaucoup plus faible sur les champs que sur les plages). Sachant maintenant que la vie pélagique des algues vertes est de l'ordre de quelques jours, nous pouvons considérer comme faible leur croissance durant cette période. En conséquence, le coût du ramassage des ulves est sans doute bien inférieur lorsqu'il est fait sur les lieux d'échouage "que s'il nécessite l'affrètement de navires spécialisés pour aller récolter les ulves en mer.

- destruction des algues sur les plages

Il s'agit là d'un problème d'ingénieurie et d'économie pour lesquels l'ISTPM n'est pas compétent. Il est cependant certain que le ramassage tel qu'il est pratiqué actuellement est indispensable. Si les algues étaient laissées à pourrir sur la plage,les sels nutritifs qu'elles contiennent retourneraient à la mer contribuant ainsi au développement de nouvelles générations d'Ulvacées. Nous ne pouvons donc que préconiser, pour l'instant, la poursuite des opérations de nettoyage des plages souillées, en attendant qu'une solution soit offerte qui utiliserait les prédateurs naturels des algues vertes. Le ramassage des algues est d'ailleurs indispensable, même en dehors de la saison touristique, et l'utilisation d'une machine spéciale est à souhaiter, les méthodes actuelles prélevent sur les plages plus de sable que d'algues vertes !


(1) Les littorines sont les "bigorneaux" comestibles que beaucoup apprécient.